En 1792, alors que la France est plongée dans un contexte d’instabilité politique et que l’ombre de la Terreur pointe le bout de son nez, une jeune femme dont nous connaissons tous le nom, nait : Marianne. Symbole de la République naissante, il est amusant de constater que la Convention nationale a décidé de présenter sous les traits d’une jeune femme cette allégorie de la liberté, la même année de l’instauration du suffrage universel masculin et de la mise à l’écart du deuxième sexe de la vie politique. Cette jeune femme devra attendre 1944 pour avoir elle aussi le droit de participer à la vie politique de la République, dont elle est le visage et le symbole. Marianne est une figure éminemment paradoxale, pourtant, c’est cette série de contradictions internes qui a poussé l’artiste Sylvie Castioni à dédier l’une de ses plus importantes contributions photographiques à cette incarnation républicaine.

Dans cette série de 92 portraits intitulée Marianne(s), la photographe engagée et militante Sylvie Castioni met en scène des personnalités Francophone de l’industrie de la culture et de l’image selon l’iconographie originelle de Marianne, celle du XVIIIe siècle, coiffée de l’emblématique bonnet phrygien, et le sein nu. Marianne est souvent représentée sous diverses traits, empruntant les visages de célébrités ou d'anonymes, reflétant ainsi la diversité et le multiculturalisme de la France. Le parallèle entre cet emblème des libertés républicaines et des droits civiques et le milieu du cinéma et du théâtre contemporain français, met en exergue les violences auxquelles font face ces femmes dans les métiers dits d’image. Leurs visages sont partout, célébrés, enviés, jalousés, sur les pages de papier glacé au grand écran, pourtant notre société a longtemps laissé leur parole sur le bas côté. Dans un contexte où les prises de paroles d’Isild le Besco, de Judith Godrèche ou encore de Charlotte Arnould, ont ravivé les discussions sur le harcèlement, les abus et l’objectification des femmes dans le milieu du cinéma et du théâtre français, Sylvie Castioni réaffirme à travers ce corpus d’oeuvres la liberté, la résilience et la puissance des femmes.

En 2016, 224 ans après la naissance de Marianne, 1 an avant MeToo, l’horreur se glisse dans l’intimité de Sylvie Castioni. L’artiste découvre après 15 ans d’amitié que son meilleur ami et collaborateur agresse sexuellement et psychologiquement les jeunes mannequins dont il gère la carrière. Profondément choquée par cette découverte, elle enquête seule durant plusieurs mois et accompagne les plaignantes dans ce long processus judiciaire. La peur, la pression, l’intimidation, s’opposent alors à sa volonté farouche de rendre justice à ces femmes. Au début elles étaient 6, puis 10, puis 15. Pourtant, la justice française lui donnera raison lorsque la condamnation tombe en 2023 : 16 ans de prison, une lueur d’espoir pour l’industrie de la mode, du cinéma et pour les  Femmes.  Si Marianne n’avait pas  de  voix dans les urnes, nombreuses sont les autres dont la voix a mis quelques décennies à compter dans l’espace médiatique et judiciaire. Les luttes pour l’égalité des droits, visibilisées récemment par l’industrie du cinéma, ont progressivement ouvert la voie à une reconnaissance des injustices et à des transformations sociales profondes. Néanmoins, les femmes continuent de lutter contre des inégalités systémiques, illustrées par l'écart salarial, les violences sexuelles et sexistes, et la sous-représentation dans les sphères de pouvoir. Cette progression est lente, mais indéniable, et chaque avancée, aussi modeste soit-elle, fait écho à l’héritage de Marianne, figure combative et persévérante. Trois siècles se sont écoulés, Marianne n’a pas disparu et ne cesse de se réinventer et d’inspirer les luttes contemporaines en faveur de la liberté, de l’égalité et de la justice. Elle est tour à tour militante, rebelle, protectrice ou témoin des changements sociétaux, incarnant à la fois les idéaux intemporels de la République et les combats actuels pour un monde plus équitable. Cette plasticité en fait une icône universelle et intemporelle, qui transcende les époques pour porter les espoirs de chaque nouvelle génération. Comme Marianne, toute sa vie, Sylvie Castioni a été témoin et actrice du changement, une filiation qu’elle clame par le commencement de cette série au lendemain du procès, et clôture par son propre autoportrait en Marianne, sein nu, coiffée d’un bonnet phrygien.

L'artiste Sylvie Castioni est une photographe engagée et militante féministe, contribuant au projet "Girls Support Girls", un réseau de networking de femmes de l'industrie du cinéma et de la fiction fondé par Vanessa Djan et Karolyne Leibovici. Diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon, elle réside et travaille à Paris. Son travail collaboratif avec des publications de renom telles que Vogue, Madame Figaro, Numéro, et L'Obs, ainsi que ses portraits de célébrités telles que Léa Seydoux, Emmanuelle Béart, Cindy Bruna, et Barbara Palvin, lui ont valu une reconnaissance internationale.

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Texte écrit par Annelise Stern - copyright ART GIRLS